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05.
mars
2020

« Comme un éléphant maladroit »

Après deux fractures du pied consécutives, le handballeur Nicolas Raemy s’est battu pour participer aux Championnats d’Europe. Dans son combat, il a tout misé sur une seule carte.

Je me sens entièrement serein. Nous sommes le 10 janvier 2020 et je me prépare avec mes coéquipiers à rencontrer la Suède au Scandinavium de Göteborg. Dans quelques minutes, nous allons disputer la première rencontre de Championnats d’Europe jouée par une équipe nationale suisse de handball depuis 2006. Aucune nervosité, pas de pensées qui se bousculent, aucun mouvement trahissant l’agitation. Juste une impatience joyeuse.

Lorsque l’hymne national retentit, je prends conscience que mon engagement des cinq derniers mois porte ses fruits. Que la voie que j’ai suivie était la bonne. Malgré deux fractures du pied consécutives, j’ai intégré le cadre des Championnats d’Europe. Après des mois sans handball et sans avoir disputé le moindre match de championnat de toute la saison. Ma satisfaction est immense.

“Lorsque l’hymne national retentit, je prends conscience que mon engagement des cinq derniers mois porte ses fruits. Que la voie que j’ai suivie était la bonne.”

En août 2019, lors du dernier match test avant le début de la saison avec Wacker Thun, mon club, je suis victime d’une fracture de fatigue au pied à la réception d’un tir en suspension. A ce moment-là, je pense : « D’accord, c’est pénible, mais je pourrai continuer après quelques semaines de pause et j’aurai encore le temps de retrouver la forme d’ici aux Championnats d’Europe. » Le chirurgien de l’hôpital de Thoune me pose une vis et je commence ma rééducation. Tout se déroule sans problème. En tant que participant au programme « Sport d’élite dans l’armée », je peux préparer mon retour dans des conditions idéales à Macolin et même comptabiliser ce temps comme cours de répétition.

La fracture est clairement visible sur la radiographie

La fracture est clairement visible sur la radiographie

Six semaines plus tard, je reprends l’entraînement. Après ma première séance avec Wacker Thun, je ressens des douleurs au pied, mais je pars quelques jours plus tard au rassemblement de l’équipe nationale en espérant que cela ira quand même. Comme les douleurs persistent, je les mets sur le compte de mon activité accrue et compte simplement interrompre l’entraînement collectif pour quelques jours. Alors que j’accompagne chez le médecin un coéquipier de l’équipe nationale qui s’est foulé le pied, je décide d’en avoir le cœur net et passe moi aussi une tomographie. « M*** ! Ça va être chaud pour les Championnats d’Europe », me dis-je lorsque le médecin m’annonce que mon pied est de nouveau cassé. Une nouvelle opération n’est pas envisageable, car elle sonnerait le glas de mes rêves de Championnats d’Europe.

Seul un traitement conservateur sans opération entre en ligne de compte. Les semaines suivantes, je porte une chaussure spéciale Künzli au lieu d’une attelle. C’est reparti pour la rééducation, la physio, la patience et la lutte.

Un exercice est particulièrement pénible pour moi : je dois essayer de bouger les orteils individuellement, par exemple en levant le gros orteil sans lever les autres. L’exercice est censé améliorer mes capacités cognitives. Il est incroyablement fatigant et demande tellement de concentration que je ne peux l’effectuer que durant quelques minutes d’un coup. En compensation, je m’y astreins plusieurs fois par jour.

“Un exercice est particulièrement pénible pour moi : Je dois essayer de bouger les orteils individuellement. L’exercice est incroyablement fatigant!”

Un exercice est particulièrement pénible pour moi : Je dois essayer de bouger les orteils individuellement, par exemple en levant le gros orteil sans lever les autres. L’exercice est censé améliorer mes capacités cognitives. Il est incroyablement fatigant et demande tellement de concentration que je ne peux l’effectuer que durant quelques minutes d’un coup. En compensation, je m’y astreins plusieurs fois par jour.

Les premières semaines sont peu encourageantes. L’os ne se ressoude tout simplement pas. Je cherche des conseils. Stefan Massa, ancien handballeur de Wacker Thun devenu orthopédiste à Berne, me fait un dispositif orthopédique en carbone. Ce dernier m’aide mais à cause de lui, mon pied sort toujours de ma chaussure à l’entraînement. Pour y remédier, je commence à porter des chaussures à tige haute également pour m’entraîner. Comme je n’en ai jamais mis auparavant, je me sens mal à l’aise. J’ai l’impression d’être un éléphant maladroit.

Sentiment déplaisant ! Mais je finis par me dire : « Soit tu te lamentes, soit tu acceptes la situation telle qu’elle est. » L’orthopédiste affine encore un peu le dispositif. Dès lors, je le porte avec les chaussures hautes pour chaque exercice de rééducation et d’entraînement, afin de m’y habituer.

Confiance après l'opération de la première fracture

Confiance après l'opération de la première fracture

« Si tu es assez en forme lors du rassemblement du 27 décembre, je te prends avec moi aux Championnats d'Europe », m'a dit Michael Suter, entraîneur national. Il me reste donc sept semaines pour me remettre de ce nouveau coup du sort. Cette perspective m’aide.

Suite aux expériences positives de ma première rééducation, j’opte de nouveau pour Macolin afin de préparer mon retour. Je veux absolument réaliser mon rêve de Championnats d'Europe malgré cette blessure ! Dans ce but, je quitte temporairement ma colocation de la vieille ville de Berne et prends une chambre à Macolin. De facto, j’interromps aussi mes études de sport et de psychologie. Je n’entre pas dans le moindre auditoire de tout le semestre et me contente d’écouter quelques cours sous forme de podcasts.

Et bien sûr, je suis loin de mes coéquipiers de Wacker Thun, ce qui n’est pas particulièrement plaisant pour un sportif d’équipe. Mais j’ai bien conscience que je dois tout miser sur une seule carte si je veux participer aux Champions d'Europe.

“Pourtant, mes premières semaines à Macolin sont dures. Je ne connais personne et je reste tout seul à ma table du restaurant le matin, le midi et le soir.”

L’encadrement à Macolin est fantastique. Je profite de l’expertise et des connaissances de l’entraîneur de fitness et de la physiothérapeute. Au début de chaque semaine, je reçois un programme d’entraînement détaillé : musculation, endurance, exercices de physio, massages, etc. Mon pied progresse et je constate que le traitement fonctionne. Pourtant, mes premières semaines à Macolin sont dures.

Je ne connais personne et je reste tout seul à ma table du restaurant Bellavista le matin, le midi et le soir. Personne non plus pour me tenir compagnie entre les entraînements et le soir dans ma chambre. Parfois, je m’offre une petite escapade à Berne pour voir des amis ou aller au théâtre. Malgré cela, c’est une période de solitude. Je finis pourtant par faire la connaissance d’autres sportifs, dont Alain Knuser. En tant que bobeur, il s’entraîne souvent à Macolin. Il connaît l’endroit et beaucoup de monde.

Adieu la solitude ! Alain et moi passons pas mal de temps ensemble. Il nous arrive par exemple d’aller pêcher. Avec d’autres sportifs, je vais à quelques matches du HC Bienne et deviens un véritable expert du hockey sur glace.

Nicolas Raemy (à gauche) durant un échange de tenues avec Alain Knuser

Nicolas Raemy (à gauche) durant un échange de tenues avec Alain Knuser

Mais l’encadrement complet dont je bénéficie n’empêche pas le fatidique 27 décembre de se rapprocher. L’incertitude grandit en moi. Comment mon pied va-t-il réagir à un effort soutenu ? Serai-je en forme après une si longue pause ? Voilà tant de mois que je n’ai plus fait de handball !

Mon père, directeur d’école, me permet de m’entraîner dans une salle de sport durant la période de Noël. Je passe quelques tests, fais des exercices de saut, des changements de direction... pour des résultats moyennement convaincants. Je ne déborde pas de confiance en moi lorsque je pars pour le rassemblement de l’équipe nationale à Schaffhouse. Mais je veux absolument tenter le coup et m’imposer pour les Championnats d'Europe.

Le premier entraînement commence. Je lance mes premiers ballons et j’ai un super sentiment ! Je remarque que j’ai le niveau et ma confiance revient peu à peu. Je décide alors de cesser immédiatement de trop réfléchir. J’ai tout donné pour participer aux Championnats d'Europe. Et voilà que j’ai réussi !

“Qui lutte pour sa chance et prend des risques sera récompensé !”

Après l’immense satisfaction ressentie avant la première rencontre, je vis des hauts et des bas avec l’équipe lors de ces Championnats d’Europe en Suède. Nous gagnons certes un match, mais n’exploitons pas pleinement notre potentiel et ne passons pas la phase de groupe. Toutefois, après toutes les heures passées à m’entraîner seul durant les semaines et les mois précédents, ainsi que ces innombrables exercices augmentant la mobilité de mon pied, ma joie et ma fierté n’en sont pas moindres.

J’ai réussi et j’ai fait partie de l’équipe qui a disputé des Championnats d'Europe après 14 ans d’absence suisse. Cette période m’a avant tout appris une chose : qui lutte pour sa chance et prend des risques sera récompensé !

Nicolas Raemy, 27 ans, a disputé jusqu'à présent 65 matches internationaux pour l'équipe nationale suisse de handball. L’arrière est sous contrat depuis 2014 avec Wacker Thun, avec qui il a célébré le titre de champion suisse en 2018. Le Lucernois vient de prolonger de trois ans son contrat avec l’équipe de Thoune. En mai 2019, alors que la saison était terminée en Suisse, Nicolas Raemy a joué les play-offs avec San Francisco CalHeat et aidé l'équipe californienne à remporter le championnat américain.

Sur le blog « Histoires d’athlètes - Sans filtre », des athlètes racontent des épisodes de leur vie avec leurs propres mots. Ils parlent de victoires et de défaites, de bons et de mauvais moments, du fait de tomber et de se relever. Les athlètes illustrent ainsi la diversité du sport suisse et montrent ce qui rend le sport si précieux.