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20.
octobre
2022
Photo: Jumbo Visma

«Ma propre valeur ne doit pas dépendre de mes victoires»

Noemi Rüegg, 21 ans, est depuis cette année cycliste professionnelle chez Jumbo-Visma aux Pays-Bas, l’une des meilleures équipes féminines au monde. Un rêve devenu réalité. Mais le passage à la vie professionnelle est un tour de force psychique – notamment pour la Zurichoise de l’Unterland. Impressions personnelles sur sa quête de la confiance en soi, en route vers les sommets de l’élite mondiale.

«Ma confiance en moi, comment dire, est par nature un peu fragile. Je peux en parler ouvertement, cela ne me dérange pas. Désormais, depuis le 1er janvier 2022, j’ai une nouvelle vie en tant que coureuse cycliste professionnelle. Lorsque j’ai pu signer le contrat avec l’équipe néerlandaise de classe mondiale Jumbo-Visma, ce fut un rêve énorme et un boost mental. Mais les doutes sont vite revenus. Parfois, ma nouvelle vie me fait peur, je me demande alors: en suis-je capable, l’ai-je mérité? Suis-je capable de faire face à tout cela?

“Et de toute façon, je vaux quelque chose même si je n’atteins pas mes objectifs. Si je perds. ”
Inconsolable malgré sa deuxième place : Noemi Rüegg après la fin de la course au championnat suisse  (Sam Buchli)2022

Inconsolable malgré sa deuxième place : Noemi Rüegg après la fin de la course au championnat suisse (Sam Buchli)2022

Mais je fais des progrès. J’arrive de mieux en mieux à répondre mentalement à ces questions. Je me dis alors que ce n’est pas comme si j’avais gagné au loto et que de ce fait j’avais le droit de rouler en professionnelle dans cette équipe. C’est le fruit de mes propres efforts, j’ai travaillé pour en arriver là. Et de toute façon, je vaux quelque chose même si je n’atteins pas mes objectifs. Si je perds.

“Au lieu de la victoire, je n’ai vu que la défaite, qui m’a frappée avec une force inattendue, déclenchant des émotions terribles. ”

Comme cet été lors des championnats suisses féminins sur route. Mon objectif était de gagner la catégorie des moins de 23 ans. Finalement, il m’a manqué un dixième de seconde pour triompher au niveau élite. J’étais deuxième et inconsolable, je suis tombée dans un énorme trou, je me suis réfugiée dans mon lit pendant deux jours, je n’arrivais plus à m’arrêter de pleurer. Alors que j’avais atteint mon véritable objectif, la victoire chez les moins de 23 ans. Au lieu de la victoire, je n’ai vu que la défaite, qui m’a frappée avec une force inattendue, déclenchant des émotions terribles. Après avoir repris mes esprits, je me suis dit: «Ce n'est pas possible, je veux pouvoir gérer les défaites. Ma propre valeur ne doit pas dépendre de mes victoires.» C’est un processus que j’ai pu – et dû – intensifier en me lançant dans le monde professionnel.  

Mon coach mental me soutient dans ce processus. Avant, j’étais tellement nerveuse et anxieuse avant les courses que j’en vomissais parfois. Je me mettais une pression énorme sur les épaules. Je voulais plaire à tout le monde. Il a fallu une crise sportive pour que je réalise que j’avais besoin d’une aide extérieure. Je venais de terminer mon apprentissage, je venais de vivre une saison médiocre et je me lançais dans le surentraînement. J’ai perdu tout équilibre et je me suis retrouvée dans un tourbillon de tensions et de nervosité. Les résultats ont suivi la même courbe, rien ne fonctionnait plus dans les courses. C’est alors que j'ai décidé de travailler avec un coach mental.

Noemi Rüegg en est à sa première saison professionnelle (Photo : Jumbo Visma)

Noemi Rüegg en est à sa première saison professionnelle (Photo : Jumbo Visma)

Nous nous parlons environ toutes les deux semaines, la plupart du temps en ligne, car je suis souvent en déplacement. Il m’enseigne des stratégies pour gérer la pression et m’aide à identifier le perfectionnisme qui ne mène à rien – il m’aide aussi à briser certains schémas. Si tu manques de confiance en toi, tu compenses en essayant de tout faire à la perfection. Il faut alors toujours faire plus, toujours mieux. C’est sain jusqu’à un certain point, voire obligatoire en tant que sportive de haut niveau. Mais c’est un exercice d’équilibre. Ce qui est problématique, c’est quand ta valeur personnelle dépend de la reconnaissance des autres. Il y a quelques semaines, lors de l’évaluation de la saison avec l’équipe, j’ai reçu un bon feedback sur mes performances. Cela m’a fait beaucoup de bien. La seule critique que j’ai reçue était que j’étais trop critique envers moi-même.

“Mais j’apprends à prendre de la distance et je sais maintenant qu’un gâteau au chocolat de temps en temps n’est pas un problème – contrairement au fait de penser toujours au cyclisme. ”

A propos de toujours plus: le fameux équilibre entre vie professionnelle et vie privée est également important dans le sport de haut niveau. Je suis issue d’une génération qui accorde beaucoup de valeur à cet équilibre. Mais en tant que sportive professionnelle, la situation est un peu particulière. Avant, j’avais la double charge de l’apprentissage et du sport, j’étais souvent à bout. Ma vie professionnelle actuelle est un incroyable privilège, mais pas simplement une vie de rêve, comme certains le pensent. Même si j’ai désormais plus de temps libre, je risque davantage de glisser mentalement dans un mode de travail 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Je me suis surprise à me demander, à chaque fois que je faisais quelque chose en dehors de l’entraînement: est-ce bon ou mauvais pour mes performances?

Un morceau de gâteau au chocolat avec des amies? Oh, mon Dieu, pas bien, ça! Mais j’apprends à prendre de la distance et je sais maintenant qu’un gâteau au chocolat de temps en temps n’est pas un problème – contrairement au fait de penser toujours au cyclisme. Cela demande beaucoup trop d’énergie. Et d’ailleurs, en tant que professionnelle, il ne reste pas beaucoup de temps, après les voyages, les courses et l’entraînement. En comparaison avec d’autres sports, l’entraînement cycliste demande beaucoup de temps.

Se déconnecter de temps en temps : Noemi Rüegg reçoit un précieux soutien mental de son entourage (zvg)

Se déconnecter de temps en temps : Noemi Rüegg reçoit un précieux soutien mental de son entourage (zvg)

C’est ainsi que je fais mon planning hebdomadaire le lundi. J’y prévois des blocs horaires fixes pendant lesquels il ne doit pas être question de cyclisme. Une promenade, seule ou avec une amie. Une rencontre avec la famille. Une sortie de temps en temps. Ou le Bible Study Club, où nous nous rencontrons une fois par semaine en ligne avec d’autres cyclistes, surtout des Américaines, et où nous échangeons sur des textes bibliques. Ma foi me soutient. Nous, les professionnels, pouvons rarement aller à l’église le dimanche.

L’entraînement autogène, une technique de relaxation, est une autre stratégie qui m’aide à devenir plus robuste mentalement. Ou encore des exercices de respiration pour me détendre, que je peux aussi réaliser juste avant une course. Mon coach mental m’a montré comment déplacer l’accent de l’objectif, c’est-à-dire le résultat, vers le chemin. Les visualisations m’y aident. J’apprécie la nouvelle sérénité qui s'installe petit à petit.

“Je pense qu’il serait important que les fédérations et les équipes abordent activement la santé mental dès la relève. ”

Nous bénéficions également du soutien de l’équipe elle-même, par exemple lors des échanges hebdomadaires avec notre entraîneur, au cours desquels on aborde également la santé mentale. Ce thème prend certes de plus en plus d’importance, mais quand je pense à la minutie avec laquelle les aspects techniques et athlétiques sont traités dans le cyclisme, à la manière dont tout est élaboré jusque dans les moindres détails, je suis parfois surprise du peu de valeur que l’on accorde encore aux questions mentales dans notre sport. Je pense qu’il serait important que les fédérations et les équipes abordent activement ce sujet dès la relève. Qu’on n'en parle pas seulement lorsqu’il y a un problème. On donnerait ainsi un signal: il est tout à fait normal d'en parler ouvertement et cela ne signifie pas non plus que quelqu’un est malade psychiquement. Celui qui parle d’alimentation dans le sport ne souffre pas forcément d’un trouble alimentaire.

“En tant que professionnelle, ce «switch», ce passage en mode «instinct de tueur», me demande beaucoup d’efforts mentaux. Mais j’aime apprendre. ”
L'instinct du tueur est requis : la conduite dans de grands peletons (photo : Jumbo Visma)

L'instinct du tueur est requis : la conduite dans de grands peletons (photo : Jumbo Visma)

La directrice sportive de mon équipe dit que je dois apprendre à être une guerrière sur le vélo. Je sais ce qu’elle veut dire. L’instinct du tueur, les coudes sortis. En vélo, je ne veux pas être la Noemi sage, mignonne et gentille que je suis de nature. Peut-être que je l’ai été parce que j’ai grandi très tôt dans ce rôle. Lorsque mes parents se sont séparés, ma mère a déménagé et je me suis soudainement retrouvée la seule femme de la maison avec mon père et mes deux frères, tous également cyclistes. J’étais responsable du ménage et de la paix, de manière très traditionnelle. S’il y avait des disputes, c’était à moi d’apaiser les tensions. Aujourd’hui, je suis encore comme ça sur mon vélo, je veux une bonne relation avec les autres. Ce n’est pas possible si tu veux faire partie de l’élite mondiale. En tant que professionnelle, ce «switch», ce passage en mode «instinct de tueur», me demande beaucoup d’efforts mentaux. Mais j’aime apprendre.

Je suis en route environ 200 jours par an, alors il m’est difficile, à moi qui veux plaire à tout le monde, de plaire à tout le monde; d'être une bonne amie pour mes amies, en plus d’être une bonne coureuse professionnelle. Ou être une bonne fille pour mes parents. Alors les mauvaises pensées reviennent, menaçant de me plonger dans un trou. Tu n’es pas assez bien, disent-elles, tu négliges les personnes les plus importantes pour toi. La pression, elle vient à nouveau de moi-même, mon entourage me soutient pleinement dans ma démarche. Mais en tant que perfectionniste, il est difficile de supporter de tels dilemmes de la vie professionnelle. Tout comme la solitude qui peut s’installer lorsqu’on est constamment loin de chez soi. Parfois, je pleure.

Mais je me sens bien aujourd’hui. Ma première saison professionnelle, riche en moments forts, est terminée, l’année prochaine sera la deuxième de mon contrat de deux ans chez Jumbo-Visma. La pression ne diminue pas. Mais la joie et la passion non plus. Je continue de donner le meilleur de moi-même. Cela doit suffire.»

Enregistré par Pierre Hagmann, Médias et Information Swiss Olympic.

Pas seulement une athlète, mais aussi une amie

Pas seulement une athlète, mais aussi une amie

Le rêve olympique

Noemi Rüegg (21 ans) est issue d’une famille de fous de cyclisme d’Oberweningen, dans le canton de Zurich. Son père et ses deux frères ont été et sont toujours actifs dans le cyclisme, son frère Timon est également professionnel de cyclo-cross. Parmi les moments forts de sa première saison professionnelle, elle cite – outre les deux titres de championne suisse des moins de 23 ans en contre-la-montre et en course sur route – sa participation au Tour de France féminin, qui a eu lieu pour la première fois en 2022. Noemi Rüegg a terminé le Tour à la 108e place, troisième meilleure Suissesse, et son prochain grand objectif est de remporter une médaille aux championnats d’Europe et du monde des moins de 23 ans. A plus long terme, son rêve est de participer aux Jeux Olympiques. Elle est membre du cadre national féminin sur route.

KEYSTONE-SDA

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«Femme et sport d’élite» – un projet qui met l’accent sur des thèmes spécifiquement féminins

Le projet «Femme et sport d’élite» soutient les athlètes féminines dans le sport de haut niveau. Il met l’accent sur des thèmes spécifiquement féminins, importants pour l’entraînement, l’alimentation et la récupération.

A l’automne 2022, Swiss Olympic met notamment l’accent sur le thème de la santé mentale des athlètes féminines. Outre cet article de blog, une infographie «Santé mentale» (réalisée en collaboration avec trois psychologues du sport) ainsi qu’un nouvel épisode de podcast ont été créés. Ces contenus offrent un aperçu approfondi des différents facteurs pouvant exercer une influence sur le psychisme d’une athlète.

Sur le blog « Histoires d’athlètes - Sans filtre », des athlètes racontent des épisodes de leur vie avec leurs propres mots. Ils parlent de victoires et de défaites, de bons et de mauvais moments, du fait de tomber et de se relever. Les athlètes illustrent ainsi la diversité du sport suisse et montrent ce qui rend le sport si précieux.