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20.
avril
2023
Photo: Valentin Studerus

«Nous partageons presque tout, y compris les objectifs ambitieux»

Les 14 meilleures joueuses de handball de la relève de suisse suivent une formation à l’Académie féminine de handball à Cham dans le but de poursuivre une brillante carrière. Une formation de A à Z. Qu’est-ce que cela représente au quotidien? Où les mène ce parcours? Claire Hartz, 17 ans, est en deuxième année de formation à l’Académie et a une vision très précise. La nouvelle gardienne de but de l’équipe nationale évoque ici les calories, les 10 000 heures d’entraînement, le mal du pays et la bande-son parfaite pour l’OYM.

«Tous les matins, je dois répondre aux mêmes questions. Comment ai-je dormi, combien de temps m’a-t-il fallu pour m’endormir? Comment est-ce que je me sens mentalement, sur une échelle de 1 à 7? Et physiquement? Qu’en est-il de mon cycle, est-ce que j’ai des douleurs, est-ce que je me sens performante? Des questions de ce genre. 19 questions au total, auxquelles nous devons répondre en ligne. Au début, c’était laborieux et particulier, je me sentais un peu observée.

A présent, cela fait partie de ma routine matinale et c’est presque un automatisme. Je prends le bus à Hünenberg, là où ma famille d’accueil habite, je sors mon portable et je réponds au questionnaire. Le trajet jusqu’à l’Académie au sein de l’OYM, le centre de sport de performance à Cham, dure 20 minutes. Si l’une de nous admet avoir un très mauvais jour, l’entraîneur de condition physique responsable reçoit un message d’alerte sur son téléphone et cherche alors à discuter avec la personne concernée. Il m’est arrivé d’avoir de telles courbatures que j’ai bénéficié d’un entraînement adapté. Quand on a des douleurs menstruelles, on préfère parfois suivre une unité d’entraînement moins intense sur le vélo que d’aller dans la salle de musculation. Aujourd’hui, je trouve que le système du questionnaire est une bonne chose, j’en profite, puisque nous suivons un entraînement le plus ciblé possible. Car je suis surtout venue ici dans le but de progresser, de devenir plus forte et meilleure, de m’imposer au sein de l’équipe nationale, de rejoindre ensuite une équipe dans un club à l’étranger, de préférence au Danemark, et une fois là-bas, d’intégrer la Ligue des champions. Il faut se fixer des objectifs ambitieux pour arriver à quelque chose.

“Dès le dimanche soir, je ressens parfois déjà une sorte de mal du pays.”

J’ai dû aussi accepter de faire quelques sacrifices, comme de quitter mon nid familial à Hergiswil très jeune. Dès le dimanche soir, je ressens parfois déjà une sorte de mal du pays, avant de partir le lundi matin pour reprendre ma vie à l’Académie avec les entraînements, le collège à l’OYM et ma famille d’accueil à proximité. Je sais toutefois que je suis une privilégiée, car j’ai la chance de faire ce que j’aime par-dessus tout.

Première sélection avec l’équipe nationale A: Claire Hartz, lors du match de qualification pour la Coupe du monde contre la République tchèque, le 8 avril 2023 à Bâle. Les Suissesses ont échoué de très peu, mais ont pu se réjouir de l’affluence record de 3124 spectateurs. (Photo: Erich Mosberger)

Première sélection avec l’équipe nationale A: Claire Hartz, lors du match de qualification pour la Coupe du monde contre la République tchèque, le 8 avril 2023 à Bâle. Les Suissesses ont échoué de très peu, mais ont pu se réjouir de l’affluence record de 3124 spectateurs. (Photo: Erich Mosberger)

De l’école à l’entraînement en 60 secondes

Le lundi matin, la semaine commence par un cours de sciences du sport. Un cours théorique sur l’alimentation, la motricité, la biologie. Nous sommes 14 dans ma classe d’économie au collège OYM. Ceux qui font un apprentissage de commerce sont dans des classes à part. Après ce cours, nous passons à l’entraînement de condition physique. Les vestiaires sont à 60 secondes de la classe. Lors de cet entraînement axé sur des groupes musculaires, nous effectuons 18 exercices qui mobilisent tout le corps pendant 90 à 120 minutes.

En concertation avec les coaches, chacune choisit quels groupes musculaires spécifiques entraîner. Le programme change toutes les cinq à six semaines. Tous les trois à quatre mois, nous passons des tests de performance. Sprints, tests Yo-Yo, détente,Txa-Test tout est traduit en chiffres et comparé aux résultats des derniers tests. Il en va de même pour la masse graisseuse et la masse musculaire, qui sont illustrées en 3D. Lors de l’analyse avec les physiothérapeutes et les entraîneurs de condition physique, ceux-ci peuvent déclarer: «Ta jambe gauche est maintenant un peu plus forte que ta jambe droite.»

Le programme est alors ajusté en conséquence. Je n’appréhende pas ces tests. En ce qui me concerne, les valeurs sont presque toujours positives. C’est peut-être aussi parce que j’apprécie vraiment le temps passé dans la salle de sport. J’aime travailler avec un objectif en tête et constater les progrès traduits en chiffres noir sur blanc. Ces chiffres prouvent aussi que nous sommes tout à fait au même niveau que les garçons de notre âge pour ce qui est de la force des jambes. C’est réjouissant aussi.

Même prénom, même académie – mais adversaires en championnat: Claire Hartz joue chez les Spono Eagles, Claire Coker au LC Brühl. (Photo: Adrian Ehrbar)

Même prénom, même académie – mais adversaires en championnat: Claire Hartz joue chez les Spono Eagles, Claire Coker au LC Brühl. (Photo: Adrian Ehrbar)

Prochaine halte dans le petit univers de l’Académie: dîner à la cantine. Il va de soi que les repas servis sont ultra sains et adaptés aux athlètes, les calories sont minutieusement comptées. Certaines filles ici sont très strictes quant à leur alimentation, moi je mange ce que j’aime. Dans le handball, le poids est moins important que dans d’autres sports. De plus, j’ai l’avantage de ne pas prendre ou perdre de poids rapidement.

“En tant qu’élèves, nous avons beaucoup de flexibilité ici. Pas en tant que sportives. ”

L’après-midi commence par deux leçons d’informatique, pendant lesquelles nous apprenons la programmation, et se poursuit avec une leçon d’anglais. Je dois partir tôt pour arriver à l’heure à l’entraînement en salle qui commence à 16h30. En tant qu’élèves, nous avons beaucoup de flexibilité ici. Pas en tant que sportives. Le handball est prioritaire. Je peux manquer l’école en envoyant un message d’absence via Outlook, sans avoir à donner une justification à chaque fois. Je peux aussi quitter un cours lorsque celui-ci chevauche mon programme d’entraînement, comme c’est le cas ce lundi après-midi. Ces chevauchements sont inévitables, d’autant que des athlètes de différents sports fréquentent le collège de l’OYM. Tous les documents de cours sont également mis à notre disposition en ligne via Microsoft Teams.

Chacune peut donc étudier quand elle a du temps. Moi, j’étudie souvent le dimanche, qui est en fait mon seul jour libre. Je le passe à la maison, avec ma vraie famille, mes parents et mon frère. Dans ma vie à l’Académie, l’école reste mon principal défi, je dois veiller à m’accrocher. Nous avons en tout 24 leçons par semaine. Sur le principe, je trouve ce système dual super, il est important pour moi d’avoir un diplôme scolaire. Mais quand mon cœur balance, je préfère quand même aller à l’entraînement.

Le week-end, les amies deviennent des adversaires

Notre entraînement quotidien de handball en salle dure deux heures. Ce sont des heures intensives, d'une autre manière que les entraînements dans mon club, le Spono Eagles à Nottwil, actuel numéro 1 dans le handball féminin suisse. Je suis sous contrat avec le club, je participe aux championnats et je m’y entraîne le vendredi avant le match du week-end avec l’équipe, ainsi qu’avec deux autres joueuses de l’Académie. Là, l’entraînement est essentiellement axé sur la tactique. Ce transfert hebdomadaire est fluide. En tant que gardienne de but, il est plus facile de s’intégrer dans l’équipe au niveau tactique après s’être entraînée ailleurs pendant la semaine.

“Alors, les buts, mais aussi les remarques, fusent. ”

Ce qui est étrange, par contre, c’est de disputer des matches de championnat contre d’autres joueuses de l’Académie avec lesquelles tu as passé toute la semaine, qui sont parfois devenues des amies, mais jouent dans d’autres clubs. Alors, les buts, mais aussi les remarques, fusent. À l’issue du match, il nous arrive de sortir toutes ensemble.

La taille nécessaire pour le poste de gardienne: Claire Hartz (3e depuis la gauche) avec l’équipe nationale des moins de 19 ans, lors de l’Euro 2021 en Slovénie.

La taille nécessaire pour le poste de gardienne: Claire Hartz (3e depuis la gauche) avec l’équipe nationale des moins de 19 ans, lors de l’Euro 2021 en Slovénie.

Pendant l’entraînement à l’Académie, je dois contrer beaucoup plus de tirs que pendant l’entraînement au club. C’est parce que notre entraîneur-chef, le Danois Martin Albertsen, privilégie beaucoup l’entraînement aux tirs et exige énormément de nous de manière générale. Il travaille beaucoup avec des manœuvres de feintes, de nouvelles trajectoires et des techniques de saut et de pointage particulières qui lui ont déjà valu des victoires internationales avec des autres joueuses. Nos joueuses de champ travaillent comme des folles pour peaufiner ces méthodes. Pour moi, dans la cage, cela signifie que je ne chôme pas. Les 30 dernières minutes sont entièrement consacrées au tir. Autant dire que je suis sur les rotules à l’issue de l’entraînement. Mais, jusqu’ici, je tiens le coup.

Une fois par semaine, je suis un entraînement spécifique avec la coach des gardiennes Laura Sahli. Elle m’apprend à effectuer les bons mouvements en fonction de la situation et à choisir le bon angle dans le jeu de position. Ici aussi, la règle c’est: progresser en répétant le mouvement sans relâche, jusqu’à ce qu’il devienne intuitif. Notre entraîneur-chef Martin croit au principe des 10 000 heures: pour réellement maîtriser quelque chose, il faut un investissement de 10 000 heures. Mes progrès? Assez flagrants, je dirais. Surtout au cours du premier semestre, la progression a été vraiment fulgurante. Maintenant, la courbe de progression s’aplatit naturellement. Les infrastructures et l’encadrement individuel, notamment avec des entraînements de physiothérapie préventive hebdomadaires, m’aident bien sûr.

Un deuxième chez-soi moderne: sur le sol de la salle de l'OYM, les lignes de marquage peuvent être sélectionnées par simple pression sur un bouton, grâce au sol GlassFloor et à la technique LED sous la surface.

Un deuxième chez-soi moderne: sur le sol de la salle de l'OYM, les lignes de marquage peuvent être sélectionnées par simple pression sur un bouton, grâce au sol GlassFloor et à la technique LED sous la surface.

Une première lors du match record

Mais il faut aussi un peu de talent. Et la taille requise quand tu es dans la cage. C’est la raison pour laquelle je suis devenue gardienne de but. Quand je jouais au handball à l’école, en première année, j’étais déjà la plus grande, ma place était donc entre les poteaux. Les choses ont suivi leur cours, via le BVS Stans. À 10 ans, j’étais déjà chez les M14. J’ai récemment vécu un premier temps fort avec ma première nomination dans l’équipe nationale suisse A à l'occasion des matchs de qualification pour la Coupe du monde contre la République tchèque début avril. A Bâle, nous avons joué devant plus de 3000 spectateurs – jouer pour la première fois avec l'équipe nationale et devant autant de monde était à couper le souffle, cela restera à jamais gravé dans ma mémoire. J'ai trouvé cool de pouvoir me retrouver sur le terrain avec autant de collègues de l'académie et de mon l'équipe. Ce jour du match à Bâle, c’était aussi le premier «Women’s Handball Day». C’est bien que le handball féminin soit mis en avant aujourd’hui, l’Académie joue un rôle important à cet égard. Mais il y a encore beaucoup à faire en Suisse.

Chaque centimètre compte dans le jeu de position: en action contre l’Allemagne, lors de la Coupe du monde des moins de 20 ans, en 2022.

Chaque centimètre compte dans le jeu de position: en action contre l’Allemagne, lors de la Coupe du monde des moins de 20 ans, en 2022.

Faire partie de ce milieu exclusif de l’Académie m’a donné beaucoup de confiance en moi. Parfois, je suis trop ambitieuse, trop acharnée, alors, je dois redéfinir mes priorités et faire en sorte de simplement m’amuser. Mon entraîneure mentale, avec qui je travaille de temps en temps depuis près de quatre ans déjà, m’aide beaucoup dans ce processus. Avec son aide, j’ai également réussi à gérer mes troubles du sommeil occasionnels. C’est le sport lui-même qui me donne le plus d’énergie. Quand je joue un super match, par exemple, c’est un sentiment tellement incroyable!

“J’aime cette ambition, cette énergie et ces émotions partagées. Mes coéquipières disent que je suis super bruyante sur le terrain. ”

À 18h30, l’entraînement en salle et ma journée de travail sont officiellement terminés. Je reprends le bus direction Hünenberg pour souper avec ma famille d’accueil avant de monter dans ma chambre pour faire quelques exercices d’étirement et peut-être travailler un peu pour l’école. Le lendemain, je retrouve mon petit univers de l’OYM, mes condisciples, qui sont aussi mes coéquipières de handball et mes amies. Nous sommes une grande famille et partageons quasiment tout, y compris les objectifs ambitieux, c’est chouette. J’aime cette ambition, cette énergie et ces émotions partagées. Mes coéquipières disent que je suis super bruyante sur le terrain. En tant que DJ de l’équipe, je mets aussi la musique à fond dans la salle d’entraînement. Mais je dois aussi parfois faire preuve de tact. Quand nous gagnons avec Spono contre une joueuse de l’Académie d’une autre équipe le week-end, je veille bien entendu à ne pas la provoquer avec ma musique le lundi matin. Je choisis alors de la musique comprenant un peu moins de basses.»

Enregistré par Pierre Hagmann, Collaborateur Médias de Swiss Olympic

Nouvelles dimensions pour le handball féminin suisse

Claire Hartz est membre de l’Académie féminine de handball Concordia de la Fédération Suisse de Handball au sein de l’OYM depuis un an et demi. Cette Académie a vu le jour en 2020 dans le but de former les meilleures joueuses suisses de la relève dans des conditions professionnelles, pour les amener à un niveau international et élever ainsi l’équipe nationale suisse au rang de l’élite mondiale. La formation à l’Académie dure généralement quatre ans. L’établissement bénéficie d’un soutien financier, mais doit aussi compter sur l’apport des joueuses. La contribution personnelle s’élève à 12 000 francs par saison. Ce montant couvre l’hébergement, les repas, les tests de condition physique, les traitements préventifs, les entraînements de handball et le collège OYM.

Sans filtre – Histoires du sport suisse

Sur le blog «Sans filtre – Histoires du sport», des personnalités du sport suisse racontent avec leurs propres mots des moments extraordinaires et des expériences marquantes. Des victoires et des défaites, dans la vie, comme dans le sport. Nous serions heureux de recevoir des suggestions de bonnes histoires, y compris les vôtres: media@swissolympic.ch