Partager le film
«Comme le dirait Westbrook: Pourquoi pas?»
Boris Mbala, 27 ans, a remporté de nombreux succès avec ses clubs et l’équipe de Suisse. Et pourtant, jusqu’à l’âge de 12 ans, au Cameroun, il ne connaissait même pas l’existence du basketball. Il nous raconte ici son évolution, son désir de transmettre et sa philosophie – qui vient de le mener en Lituanie.
«21 août 2019. Montreux. Avec l’équipe de Suisse, nous affrontons l’Islande. Le match est décisif. Pour atteindre les qualifications de l’Euro 2021, nous devons battre notre adversaire du soir d’au moins 20 points. L’Islande est une équipe de haut niveau, qui nous a battu lors du premier affrontement. Nous commençons mal: 7 points de retard après quelques minutes.
Je défends sur Martin Hermannsson, un très bon joueur d’Euroligue, la compétition la plus prestigieuse du continent. Je réalise une bonne défense, mais il enchaîne tout de même les paniers. Heureusement, petit à petit, nous les rattrapons, prenons même les devants. Parfois, tu as la chance d’avoir à tes côtés des joueurs comme Clint Capela. Dans le rôle qu’il a en NBA, c’est l’un des meilleurs au monde. Ça aide. Mais évidemment, il n’est pas seul: nous faisons surtout un très gros match collectif.
Nous sommes très proches de la fin. Le suspense est à son comble, il y a beaucoup de bruit, le public est très nombreux. Je me retrouve seul face au panier. J’ai deux lancers francs. Allons-nous réussir à maintenir nos 20 points d’avance? Si je réussis mes lancers, nous sommes quasiment assurés d’atteindre l’objectif. Je respire, et j’y vais. Mission accomplie.
Quelques instants plus tard, nous avons gagné, 109-85. 24 points d’écart! L’ambiance est incroyable. Nous avons créé l’exploit. Avant le match, personne ne pensait qu’on allait le faire. Et en plus, nous avions très mal commencé la partie. Si des parieurs avaient misé sur nous à ce moment-là, ils ont sûrement remporté le gros lot.
Je décide alors de m’asseoir. Il fait chaud, il y a beaucoup d’émotions, je suis fatigué, j’ai tout donné, la pression retombe – et mes larmes se mettent à sortir, toutes seules. Des coéquipiers m’entourent, me réconfortent. C’est un beau moment. À 23 ans, je vis l’un des plus grands instants de ma carrière.
Et dire qu’il y a onze ans, je ne connaissais même pas le basket…
Le froid des hivers suisses
Je suis né en 1996 à Yaounde, la capitale du Cameroun. Là-bas, nous n’avions pas de gym à l’école. Le seul sport que je pratiquais était le football, comme presque tous les enfants. Je ne faisais pas partie d’un club, mais je jouais avec mes amis ou mes cousins. En 2008, à 12 ans, lorsque je suis arrivé en Suisse pour rejoindre ma mère et mon beau-père, j’ai donc continué le foot, dans un club cette fois-ci. C’est à ce moment-là que mon beau-père m’a introduit au basket. Il jouait lui-même et suivait Fribourg Olympic. J’ai donc commencé à m’intéresser à ce sport, à aller voir les matchs – et à jouer, aussi. Pendant une certaine période, je faisais du foot et du basket en même temps.
Si je devais dire pourquoi j’ai finalement choisi le basket, je crois que je pourrais l’expliquer en un seul mot: hiver. Le froid des hivers suisses a précipité mon choix. Après les entraînements de foot, mes mains étaient tellement gelées que je n’arrivais pas à détacher mes lacets. Ça m’a un peu «dégoûté», entre guillemets. Je préférais nettement les salles chauffées.
Au début, je n’étais pas très grand, mais j’avais déjà quelques qualités physiques. Ça m’a aidé à progresser rapidement. Mais je ne me suis pas levé un matin en me disant que je voulais devenir basketteur pro. Tout cela s’est fait étape par étape.
Après l’Afrique, j’avais un certain retard au niveau scolaire, j’étais destiné à un job manuel – maçon, ou autre. J’ai donc décidé de refaire une année d’école secondaire, pour monter d’une catégorie et intégrer une filière sport-étude. Je me suis dit: il faut crocher. Ça a fonctionné, j’ai eu les résultats suffisants et j’ai intégré l’Académie de Fribourg Olympic. Là-bas, j’ai commencé à jouer en ligue B, vers 16 ans.
Ensuite, je me souviens très bien le moment où j’ai rejoint la première équipe. Un jour, je m’entraînais à côté d’eux, ils faisaient un cinq contre cinq. Soudain, Roberto Kovac s’est énervé et a quitté ses coéquipiers. Ils se retrouvaient à neuf. L’entraîneur, Petar Aleksic, m’a alors demandé de prendre la place de Kovac. Environ une semaine plus tard, Aleksic m’informait: «Maintenant, tu es avec nous.» Pour l’anecdote, lors de mon dernier match avec Fribourg Olympic en 2023, juste après avoir remporté le championnat, j’ai tenu à remercier Kovac, au moment de prendre la parole devant la salle pleine. C’est aussi un peu grâce à lui que ma carrière a débuté.
Après cet épisode, j’ai petit à petit gagné la confiance du coach Aleksic. Je grapillais des minutes de jeu par ci par là. Quelques années plus tard, il a même fini par me nommer capitaine de l’équipe.
Si des jeunes passionnés me demandaient aujourd’hui comment suivre mon chemin, je leur dirais d’abord: c’est beaucoup de travail. Peut-être que j’avais un talent physique et technique, mais ça reste beaucoup – beaucoup – de travail. Je pense qu’il faut aussi être à l’écoute. Lorsque de nouvelles personnes te donnent des conseils, tu n’as pas forcément besoin de tout prendre, mais il faut au moins écouter, avec beaucoup de respect. Il faut aussi être patient, et saisir sa chance lorsqu’elle arrive. Si tu travailles, je pense que cette chance arrive toujours.
L’envie de transmettre
À l’adolescence, pendant cinq ans, j’ai participé au camp d’été de Thabo Sefolosha, qui a passé de nombreuses années en NBA. Malheureusement, par la suite, nous n’avons jamais joué ensemble. En revanche, je l’ai affronté récemment, lorsqu’il est revenu à Vevey.
Désormais, j’ai également créé mon propre camp d’été de basket, à Bulle, dans le canton de Fribourg. L’idée me trottait dans la tête depuis longtemps. Après toutes ces années de ligue A, aux côtés de Petar Aleksic et d’autres, j’ai beaucoup grandi, beaucoup appris. J’avais envie de transmettre mon expérience, et je me suis dit: Pourquoi pas? La ville a accepté de nous mettre des salles à disposition. Et nous avons trouvé quelques sponsors, aussi. Je voulais que ce camp soit accessible à toutes et à tous.
En Suisse romande, le basket monte, la demande est très grande du côté de la relève. Certains clubs n’ont malheureusement pas suffisamment de place pour tout le monde. En 2023, pour notre deuxième édition, nous avons donc accueilli quelque 150 enfants et jeunes sur deux semaines. J’étais content.
Mon côté émotif
En ce qui concerne ma carrière, j’ai décidé de quitter Fribourg. Durant toutes ces années, j’ai constamment évolué, et je ne voulais pas m’arrêter là. En début de saison 2022/23, j’avais donc déjà décidé de franchir une étape – partir à l’étranger. Malheureusement, au début, j’y pensais trop et je jouais mal. J’ai donc décidé de voir un coach de vie pour trouver ce qui me bloquait, et passer un petit palier supplémentaire. Nous sommes arrivés à la conclusion que mon problème principal venait de mon côté émotif. Lorsque je faisais une erreur ou commençais mal un match, ça se voyait directement sur moi, et je ne jouais pas bien. L’entraîneur n’aimait pas du tout ça. Mon langage corporel était mauvais: en tant que capitaine et l’un des leaders de l’équipe, mes coéquipiers le voyaient aussi.
Je n’ai jamais crié sur les autres. Si un coéquipier ne me passe pas trois fois de suite la balle, je ne vais pas lui casser la tête. Je vais plutôt me fâcher contre moi, ça va me frustrer, je vais me renfermer. Il fallait que je travaille là-dessus.
En plus, je me focalisais beaucoup trop sur certains objectifs précis. Je les écrivais et je me disais par exemple: il faut que je marque 15 points par match. Mon coach de vie m’a donc dit: «Non, il ne faut pas te laisser submerger par ça, ça va te bloquer. Il faut être libre. Quand tu vas sur le terrain, c’est juste pour t’amuser, jouer.» Cela m’a m’aidé. Mon nouvel objectif était de contrôler ça, de rester positif et concentré. J’ai fait une très bonne fin de saison, en terminant meilleur marqueur de mon équipe. Dire qu’il y a quelques années, j’étais avant tout un joueur défensif…
10’000 autres joueurs pour te remplacer
Depuis quelques semaines, je joue en Lituanie, pour le club de BC Gargzdai, en première division. En basket, sortir de Suisse est très difficile. À l’étranger, on ne respecte pas beaucoup notre championnat. Lorsque j’ai reçu l’offre, le choix a donc été assez facile, je ne m’attendais pas à ça. Le championnat de première division est énorme en Lituanie. Plusieurs équipes participent aux compétions européennes, l’Euroligue notamment. Le niveau est bien supérieur à la Suisse.
Je suis totalement sorti de ma zone de confort. Je l’avais déjà fait une fois, en quittant Fribourg pour Monthey, durant une saison. Là, c’est encore autre chose: je suis un renfort étranger, j’ai un autre rôle, une toute autre pression. Si tu ne joues pas bien en tant qu’étranger, il y en a 10'000 autres qui attendent derrière, pour te remplacer. C’est aussi une autre culture de basket. Je vais encore découvrir, apprendre beaucoup de choses, qui vont m’aider à progresser. Je me réjouis. Même si je sais que ça va être dur.
Lorsque j’étais plus jeune, j’avais deux modèles en NBA: Kobe Bryant, parce que c’était la star du moment et qu’il était très fort, mais aussi Russell Westbrook, parce que j’aimais son style de jeu. J’ai donc adopté la philosophie de Westbrook. Il dit souvent: «Why not?», pourquoi pas? Si tu n’essaies pas, tu ne sauras jamais si tu peux y parvenir.
Aujourd’hui, je sais que si l’on fait une grande saison en Lituanie, d’autres portes peuvent s’ouvrir. Et pourquoi pas?»
Enregistré par Fabio Gramegna, équipe Médias de Swiss Olympic
FTEM Suisse: Le parcours idéal
5 Championnats, 4 Coupes de Suisse, 4 SuperCups et 3 Coupes de la Ligue: Swiss Olympic et ses fédérations membres travaillent au quotidien pour que des talents comme Boris Mbala progressent continuellement et puissent atteindre de tels palmarès dans leur discipline. Pour cela, le sport suisse se base sur un concept en commun nommé «FTEM Suisse». Ce dernier définit le développement idéal des sportives et sportifs de l’étape «Foundation» (F) à l’étape «Mastery» (M), en passant par les phases «Talent» (T) et «Elite» (E). Vous souhaitez en savoir plus sur le concept «FTEM»? Cliquez ici.
Sans filtre – Histoires du sport suisse
Sur le blog «Sans filtre – Histoires du sport», des personnalités du sport suisse racontent avec leurs propres mots des moments extraordinaires et des expériences marquantes. Des victoires et des défaites, dans la vie, comme dans le sport. Nous serions heureux de recevoir des suggestions de bonnes histoires, y compris les vôtres: media@swissolympic.ch