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« Le cycle menstruel devrait faire partie intégrante de la planification de l’entraînement »
Pendant des années, la skieuse Michelle Gisin (27 ans) a ignoré son cycle menstruel. Une interview a cependant ouvert les yeux de la championne olympique. Depuis environ un an, elle analyse donc son cycle mois après mois et adapte son entraînement en conséquence. Elle explique ici comment elle utilise ces nouvelles connaissances.
Nous sommes quelque part en montagne. Mes coéquipières font leurs courses d’entraînement, les entraîneurs analysent leurs descentes. Moi, en revanche, je suis allongée au bas de la piste, me tordant de douleur. Rien ne va plus, la douleur dans mon bas-ventre est trop forte. C’est l’un de ces mauvais jours du mois, mais je voulais quand même fournir une performance de haut niveau. Ce n’était pas une bonne idée : mon corps me le fait bien sentir. Et j’aurais pu le savoir.
Ou aurais-je vraiment pu le savoir ? En tant que jeune athlète, j’ai été à plusieurs reprises incapable de terminer mon entraînement comme prévu en raison de douleurs très intenses dans le bas-ventre. Aujourd’hui, je sais qu’à l’époque, je ne connaissais tout simplement pas les liens de cause à effet. Par le passé, je n’étais pas consciente de l’effet que le cycle menstruel avait sur ma capacité de performance en tant qu’athlète d’élite. Evidemment, je connais les troubles menstruels depuis longtemps, mais je n’avais pas encore établi de lien avec ma vie de skieuse. Je n’avais aucune idée.
Quand je me sentais fatiguée, je me disais : « Eh bien aujourd’hui, tu vas devoir vraiment te secouer. » Et c’est ce que je faisais. J’atteignais volontairement mes limites ces jours-là, en essayant d’arracher une bonne performance malgré tout. C’était particulièrement évident en salle de musculation. Je faisais même plus d’exercices que d’habitude et j’essayais de soulever encore plus de poids. Je travaillais contre mon corps et réprimais ou ignorais ses signaux. Et j’en ai payé le prix : les crampes dans le ventre que j’ai mentionnées plus haut en étaient la conséquence.
Depuis environ un an, j’ai une approche différente : je veux travailler avec mon corps et non contre lui. C’est pour cette raison que j’analyse désormais en détail le déroulement de mon cycle. Je collecte pour ainsi dire des données et les évalue avec mon personnel d’encadrement. De cette manière, j’ai par exemple appris que la semaine précédant la menstruation est la plus difficile pour moi. Je n’ai pas la même énergie que d’habitude. Je suis sensible et parfois de très mauvaise humeur.
Dès que mes règles arrivent, les douleurs au ventre disparaissent le deuxième jour et je me sens ensuite mille fois mieux. Au cours des deux semaines suivantes, je pourrais déraciner des arbres. Ces enseignements m’aident énormément. Maintenant, je sais pourquoi j’ai des nuits agitées alors que je suis plutôt une bonne dormeuse en soi. Je peux aussi me préparer aux jours difficiles en prévoyant plus de temps pour la récupération. A l’inverse, lors de mes planifications d’entraînement, je peux fixer les phases principales pour tester mes limites pendant les semaines où je sais que je me sens forte.
Actuellement, j’applique ces connaissances dans le cadre de mon entraînement de condition physique en vue du prochain hiver de coupe du monde. J’ai l’impression que mes séances d’entraînement portent plus leurs fruits que les années précédentes. La connaissance de mon cycle contribue à une vision globale de ce qu’est une athlète d’élite.
En fait, c’est incroyable que j’aie commencé à m’intéresser de manière consciente à mon cycle à l’âge de 26 ans seulement. Mais bon, on en parle très peu. Cela est peut-être lié au fait que dans notre sport, le ski alpin, la majeure partie des entraîneurs et du personnel d’encadrement sont des hommes. Mais ce n’est certainement pas la seule raison.
Je pense que même dans les sports où la proportion de femmes est plus élevée parmi le personnel d’encadrement, le cycle menstruel n’est pas une question dont on discute ouvertement ni qu’on intègre consciemment dans la planification de l’entraînement. Pour ma part, je discute rarement avec mes coéquipières du cycle et de son influence sur notre ressenti et nos performances.
En ce qui me concerne, c’est une question d’Ursina Haller qui m’a ouvert les yeux. Elle a été l’une des meilleures snowboardeuses du monde et travaille maintenant comme journaliste. Lorsqu’elle nous a demandé il y a quelque temps, à moi et à d’autres athlètes, comment nous gérions notre cycle menstruel et a écrit un article à ce sujet, c’était la première fois que j’y pensais consciemment. Par la suite, j’ai commencé à m’y intéresser vraiment.
Lorsque, plus tard, j’ai fait part de mes premières constatations à mes entraîneurs, il y a d’abord eu une certaine réticence. Non seulement de leur côté, mais aussi du mien. Mais une fois la glace brisée, parler de ce sujet ouvertement est devenu facile. Il est fascinant de voir à quelle vitesse le tabou est levé dès que l’on commence à en parler.
Je pense que le tempérament des entraîneurs aide. En général, ils sont toujours prêts à inventer de nouvelles solutions et leur travail consiste à découvrir ce qui rend les athlètes meilleures ; que ce soit des skis plus ou moins longs, un fartage différent ou l’adaptation de l’entraînement au cycle menstruel.
Beaucoup de choses deviennent plus claires lorsque l’on comprend les variations hormonales subies par une athlète et que l’on sait quand son taux d’œstrogènes est élevé et quand il est faible. J’ai également remarqué que les graphiques aident les entraîneurs masculins à se pencher plus sérieusement sur le sujet. Ils connaissent bien les graphiques et les chiffres, car ils en utilisent plutôt souvent dans leur travail...
Ces derniers temps, j’ai l’impression que la fédération a également compris l’importance du cycle d’une athlète quant à sa capacité de performance. La médecin du sport Sybille Matter, par exemple, a évoqué le sujet lors du Forum des entraîneurs de Swiss-Ski, sensibilisant ainsi les entraîneurs à cette question.
C’est un premier pas important. Mais il faut maintenant étendre et transmettre les connaissances de manière continue. Et ce n’est pas si simple – surtout au niveau des cadres inférieurs ou de la relève, où les équipes et entraîneurs changent plus fréquemment. Chez nous, en coupe du monde, il y a plus de continuité à cet égard, ce qui facilite certainement les choses.
Le fait que le cycle menstruel et les règles des athlètes aient récemment été abordés davantage et mieux étudiés – par exemple dans le cadre du programme « Femme et sport d’élite » de Swiss Olympic – me donne confiance. Mon rêve est que ces éléments fassent à l’avenir tout simplement partie de la planification de l’entraînement et que les jeunes athlètes puissent bénéficier de cette approche plus ouverte. Le cycle menstruel et les règles ne devraient plus être un tabou. Bien au contraire.
Née le 5 décembre 1993, Michelle Gisin a commencé à skier à l’âge d’un an et est actuellement l’une des meilleures skieuses suisses. Jusqu’à présent, elle est montée six fois sur le podium en coupe du monde. En 2017, elle est devenue vice-championne du monde de combiné alpin à Saint-Moritz et, en 2018, championne olympique dans la même discipline à PyeongChang. Michelle Gisin vit à Engelberg dans le canton d’Obwald