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25.
janvier
2024
(Keystone-SDA)

«Allez, va t’amuser!»

Depuis le début de sa riche carrière sportive, Sarah Hoefflin, 33 ans, a toujours accordé plus de valeur au plaisir qu’aux résultats. Cela ne l’a pas empêchée de remporter une médaille d’or en ski freestyle aux Jeux Olympiques de PyeongChang 2018. Elle nous parle ici de fête avant une finale olympique, de tarte à la crème en plein visage – et de moments où elle aussi, perd le sens du plaisir.

«16 février 2018. Jeux Olympiques d’hiver de PyeongChang. Je suis posée sur mon lit, au village olympique. Je suis qualifiée pour la finale du slopestyle, qui a lieu le lendemain. J’ai mal partout, notamment aux deux talons, je n’arrive presque plus à marcher. En plus de mes douleurs physiques, mon stress est énorme. Je ressens cette pression propre aux Jeux Olympiques: il faut que je performe, c’est les JO, c’est important, je n’ai pas d’autre choix que de bien faire, c’est ce que tout le monde attend de moi – moi y compris.  

C’est alors que je reçois un message. Le snowboardeur Scotty James a remporté une médaille en halfpipe. Notre sponsor en commun a organisé une petite fête pour célébrer ça. Je suis invitée à l’événement, proche de nos appartements. Que faire? Rester dans ma chambre, à stresser, ou prendre part à la fête?  

“S’amuser fait aussi partie de l’expérience olympique”

Je me dis alors: allez, va t’amuser – s’amuser fait aussi partie de l’expérience olympique! Je n’étais pas prédestinée à participer à des JO. Certains athlètes sont entraînés depuis tout jeunes à la gymnastique ou autres, en vue des Jeux Olympiques. Moi ce n’est pas du tout le cas. J’ai suivi des études en neurosciences, travaillé, commencé le ski freestyle très tard. Vu mon parcours, cette expérience est improbable, je dois en profiter. 

Y aller me paraissait la chose la plus juste à faire. Je me suis donc levée, et je m’y suis rendue. Sur place, les gens me disaient: «Wouah, tu es en finale demain, et tu es là? Trop cool!» Evidemment, je ne suis pas restée trop tard, et je ne me suis pas saoulée. Mais il est très possible que ce moment m’ait aidé à me détendre en vue de la finale.  

Le lendemain, j’étais toujours stressée, mais je me sentais quand même bien. Je me revois encore sur le téléski, seule, juste avant la finale, à penser: fais simplement ce que tu sais faire, c’est bon, tu as réussi, tu es là, il fait beau, tous tes potes et ta famille regardent – tu as déjà atteint tes objectifs.  

Pourquoi je vous raconte cet épisode? Parfois, je me dis que c’est peut-être aussi grâce à cette ‘philosophie du plaisir’ que j’ai gagné cette médaille d’or aux Jeux Olympiques de PyeongChang. Aux Jeux de Pékin, en 2022, je n’ai pas fait pareil le soir avant mes compétitions. Ça doit donc être lié.  

Après le stress, c’est l’or aux Jeux Olympiques 2018 (Keystone-SDA).

Après le stress, c’est l’or aux Jeux Olympiques 2018 (Keystone-SDA).

C’est mon job 

J’ai parfois expliqué dans des interviews ou ailleurs que mon but principal dans le sport était d’avoir du plaisir – que sans ça, il n’y aurait ni motivation ni succès. Aujourd’hui, avec quelques années d’expérience supplémentaires, je pense toujours que ce concept est vrai. Mais je préfère nuancer: ce n’est pas forcément vrai tout le temps.  

Dans le ski freestyle, le fun est à la base de tout. Si on ne s’amuse pas dans cette discipline, à quoi ça sert?  Mais je ne sais pas à quel point il est possible de s’amuser dans tous les sports – je pense par exemple aux sports d’endurance. Parfois, il faut plus parler d’entraînement et de persévérance que de fun. Même en ski freestyle.  

Lorsqu’il fait froid, qu’il neige, que la météo est dégueulasse, le ski a beau être ma passion, je ne ressens plus du tout de passion. Je pense surtout à rentrer chez moi, pour faire autre chose. Autre exemple: récemment, j’ai subi une commotion cérébrale. De retour à l’entraînement, après plusieurs semaines de pause, le plaisir n’était pas vraiment au rendez-vous. Je ressentais pas mal de peur, il me manquait de la confiance.  

“Lorsque la météo est dégueulasse, le ski a beau être ma passion, je ne ressens plus du tout de passion”

Dans ces moments plus difficiles, j’arrive à relativiser, à me dire que c’est mon job. Avant d’intégrer l’équipe suisse de freeski, je travaillais dans une entreprise pharmaceutique. Bosser, je sais donc ce que c’est. J’aimais bien ce que je faisais, je trouvais le contenu très intéressant. Mais c’est plutôt la routine – se lever tous les matins – qui me plaisait moins. J’ai donc rapidement réalisé que j’avais une chance énorme de pouvoir vivre du ski, grâce à mes sponsors. Lorsque cela va moins bien, je ne trouve pas très compliqué de me dire: ça va, ça fait partie du jeu. J’ai besoin de ça pour payer mes impôts et mes assurances. Il y a pire comme vie.  

Sarah Hoefflin aux Jeux Olympiques de Pékin 2022: «Si on ne s’amuse pas en ski freestyle, à quoi ça sert?»   (Keystone-SDA)

Sarah Hoefflin aux Jeux Olympiques de Pékin 2022: «Si on ne s’amuse pas en ski freestyle, à quoi ça sert?» (Keystone-SDA)

“Se donner de gros objectifs, lointains et compliqués, me semble être la meilleure manière d’être déçue”

Baisser ses attentes 

Après ma médaille d’or aux Jeux Olympiques 2018, je me suis posé la question: et maintenant? Cette médaille est arrivée très vite après mes débuts, ce n’était que ma deuxième saison. Que pouvais-je donc bien espérer après cela?  

J’ai alors décidé de ne pas me fixer des attentes trop hautes. Un jour, j’ai parlé de ça lors d’une courte présentation, organisée dans le cadre des conférences TED: baisser ses attentes. Se donner de gros objectifs, lointains et compliqués, me semble être la meilleure manière d’être déçue. Après, tous les athlètes ne fonctionnent pas comme moi. Certains vont chercher la première place partout, tout le temps. Donc peut-être que j’ai tort et que ce n’est pas la meilleure façon de gagner. Mais moi, j’ai vraiment envie de terminer ma carrière en me disant que je me suis amusée à côté. Je ne veux pas qu’on se souvienne de moi comme quelqu’un qui se focalisait uniquement sur la compétition, qui ne parlait avec personne. Ce n’est pas vraiment dans mes valeurs.  

Récemment, dans une autre conférence TED super intéressante, j’ai entendu une personne aller dans le même sens que cette idée – mais avec d’autres mots. Elle disait: il faut avoir du plaisir à vivre le chemin qui mène vers un objectif, se réjouir de ce que l’on fait au quotidien – et pas seulement penser à l’envie de gagner, d’être premier. Je pense que c’est très vrai, et c’est ce que j’essaie de mettre en pratique. En ski freestyle, je me dis par exemple: j’ai envie d’apprendre telle ou telle figure, pour pouvoir la réussir en compétition. Cela prend du temps, ça fait partie du chemin. Et une fois que j’arriverai à faire ça, c’est là que les médailles arriveront – peut-être. La fin de l’histoire est importante, mais ce n’est pas tout – il y a aussi tout ce qui vient avant.  

“La fin de l’histoire est importante, mais ce n’est pas tout – il y a aussi tout ce qui vient avant”

Une longue histoire 

Au sein de la Swiss Freeski Team, l’ambiance est très bonne, nous rigolons beaucoup. Nous avons par exemple une tradition: celle de lancer une tarte à la crème au visage de celui ou celle qui célèbre son anniversaire. D’ailleurs, je revois encore une scène récente à ce propos.  

Nous sommes le 8 janvier 2024, en fin de journée. Je fête mes 33 ans. Comme je sais très bien que je risque de me recevoir une tarte à la crème, je ne me suis pas lavé les cheveux. Avec Mathilde Gremaud, nous sommes devant l’ordinateur, à étudier une vidéo. Alors que nous sommes concentrées sur l’écran, notre coach, Greg, s’éloigne discrètement. Quelques instants plus tard, il se tient derrière moi, la tarte à la main, à quelques centimètres de ma tête. Je ne remarque rien. Il pourrait me surprendre à n’importe quel moment, mais il attend, attend – plusieurs secondes – et soudain m’appelle: «Sarah!» Je me retourne, aperçois la tarte du coin de l’œil. Greg la lance, mais j’ai le temps d’esquiver. La tarte atterrit droit sur mon copain: il est recouvert de crème, et moi je n’ai rien. C’est ce qui s’appelle le karma: c’est lui qui était allé acheter cette tarte. 

“Comme je sais très bien que je risque de me recevoir une tarte à la crème, je ne me suis pas lavé les cheveux”

Ce côté fun de la Swiss Freeski Team a débuté bien avant moi. Lorsque j’ai débarqué, j’étais la petite nouvelle qui apprenait. Mais d’après ce que j’ai entendu, cela devient de plus en plus sérieux. Avant, apparemment, beaucoup d’athlètes allaient régulièrement faire la fête lorsqu’ils étaient à Saas-Fee, notre lieu d’entraînement pendant la moitié de l’été. Le lendemain, ils allaient s’entraîner en ayant très peu dormi, ou avec la gueule de bois. Franchement, ce n’est plus du tout comme ça. Je pense que cela vient beaucoup du fait que le slopestyle et le big air ont été inclus au programme olympique. Et je pense aussi que les compétitions sont beaucoup plus nombreuses qu’avant. Après les victoires, nous n’avons même pas forcément le temps de célébrer. Tu gagnes, et parfois, tu dois partir juste après. Chaque année, j’ai l’impression de voyager dix fois plus que l’année d’avant. Chaque fois, je me dis: je ne vois pas comment on peut voyager plus. Et d’une manière ou d’une autre, ça augmente encore.  

Bref: ce n’est pas que nous rigolons moins, mais les fêtes sont moins nombreuses. En plus, le niveau s’élève d’année en année, ça devient plus dur, les figures deviennent plus difficiles. J’ai l’impression que l’on ne peut plus poser certaines figures sans être à cent pour cent. Si tu veux terminer sur le podium, je pense que tu es désormais obligé d’être un athlète sérieux.  

Jeux Olympiques de Pékin 2022: Sarah Hoefflin (à gauche), Mathilde Gremaud (droite).

Jeux Olympiques de Pékin 2022: Sarah Hoefflin (à gauche), Mathilde Gremaud (droite).

Et toute l’équipe suisse de freeski célèbrent la médaille de bronze en big air de Mathilde Gremaud (Swiss Olympic).

Et toute l’équipe suisse de freeski célèbrent la médaille de bronze en big air de Mathilde Gremaud (Swiss Olympic).

Reste que comme je l’ai dit, l’ambiance dans notre groupe est bonne. À côté de la tarte à la crème, nous avons un autre moment que l’on pourrait considérer comme une tradition. Chaque fois que nous nous rendons en Californie, à Mammoth, pour des compétitions, nous essayons de garder trois ou quatre jours pour aller faire du surf après. J’apprécie énormément. Chaque fois, je me réjouis beaucoup. Je suis une chèvre en surf, mais j’adore quand même. 

Mais au fait, je me rends compte que je n’ai pas tout raconté au sujet des tartes. Vous vous demandez peut-être: et alors, Sarah s’est-elle déjà pris une tarte à la crème en plein visage? Je vous rassure. Oui. Les deux premières fois, je n’ai rien venu venir, je n’ai pas pu esquiver.  

Et j’ai beaucoup ri. C’était fun.»  

 

Enregistré par Fabio Gramegna, équipe Médias de Swiss Olympic 

Sans filtre – Histoires du sport suisse

Sur le blog «Sans filtre – Histoires du sport», des personnalités du sport suisse racontent avec leurs propres mots des moments extraordinaires et des expériences marquantes. Des victoires et des défaites, dans la vie, comme dans le sport. Nous serions heureux de recevoir des suggestions de bonnes histoires, y compris les vôtres: media@swissolympic.ch