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«Personne ne me donne d’ordre, mais je ne lâche jamais»
La Valaisanne Sarina Fux (27 ans) figure parmi les meilleures kickboxeuse light-contact du monde. Elle s’entraîne plus que certaines sportives professionnelles mais doit concilier son sport avec un travail et des études. Qu’est-ce qui la motive? Une histoire personnelle entre gourmandise à Budapest, fiers sponsors valaisans et rêve australien.
«Je suis à 6h00 à la salle pour ne pas être en retard au travail. Chaque soir sans exception, après le boulot, je vais à mon entraînement de kick-boxing. Le vendredi et le samedi, je me concentre sur mes études. Et le dimanche, je dispute souvent une compétition.
J’aime le kick-boxing. J’aime m’entraîner, combattre, viser un but. Si je fais quelque chose, je le fais bien. Mon ami et moi sommes sur la même longueur d’onde: Il se donne aussi à fond dans son travail. J’avoue que j’aimerais que le kick-boxing soit mon job, pour pouvoir m’y adonner encore plus. Mais les 300 francs octroyés au vainqueur de la Coupe du monde ne suffisent pas pour vivre. Au contraire, je dois calculer le nombre de compétitions internationales que je peux me permettre par saison. Même un titre au Championnat du monde ne serait pas suffisant sur le plan financier: La prime du vainqueur rembourse les coûts engendrés par la semaine, c’est-à-dire le vol et l’hôtel. Ça représente peut-être 1500 francs. Le deuxième reçoit un remboursement de 50 %.
En tout cas, je suis contente que mon ami soit aussi très occupé, car je ne dois pas me justifier d’avoir peu de temps à lui consacrer. Mais, pour le moment, j’ai un peu plus de temps libre, malheureusement. Je me suis blessée. Rupture du ligament croisé, c’est vraiment dur pour moi. Je suis bien plus affectée par la privation de kick-boxing que réjouie par le temps libre supplémentaire que ça me laisse. Même si c’est bien de pouvoir disposer de mon temps de façon un peu plus détendue et de pouvoir voir mes amis sans devoir le planifier à l’avance. En général, il y a en effet peu de place pour la spontanéité dans ma vie. Le dimanche soir, j’organise ma semaine à venir, heure après heure. Ma vie est chronométrée. Mais cette vie me plaît. J’ai toujours eu besoin de bouger énormément.
Une arrivée précoce pour concourir dans la catégorie de poids inférieure
Je consacre pratiquement tout au kick-boxing: mes loisirs au quotidien, mes vacances et une grande partie de mon argent. Chaque automne, je prends une semaine de vacances pour les Championnats d’Europe ou les Championnats du monde, en alternance. Il y a aussi les camps d’entraînement et, si je participe à une compétition internationale pendant un week-end prolongé, je dois aussi généralement sacrifier un ou deux jours de congé. Heureusement, mon employeur est flexible. Je peux répartir moi-même mon temps de travail et j’ai aussi la possibilité de télétravailler. Dernièrement, j'ai dû arriver à une compétition à Budapest le jeudi pour la pesée, alors que la compétition proprement dite n’avait lieu que le dimanche. Mais j’ai pu travailler sur place en attendant la compétition – et aussi remplir mon réservoir d’énergie.
Car voilà comment ça se passe en kick-boxing: Il y a plusieurs catégories de poids. Mon poids normal tourne autour de 57 kg, par exemple. Pour pouvoir participer à la compétition dans la catégorie de poids de moins de 55 kg, j’adapte mon alimentation en conséquence une à deux semaines avant l’épreuve. Ça me permet d’arriver sous les 55 kg lors de la pesée avant la compétition. A Budapest, on avait la possibilité de se faire peser dès le jeudi pour la compétition du dimanche. J’aurais aussi pu n’arriver que le samedi, mais j’aurais eu peu de temps pour prendre un peu de masse après le passage sur la balance. Car le poids n’est plus contrôlé le jour de la compétition. J'ai donc pu me renforcer pendant presque trois jours et avoir un avantage dans le combats. Ou j’aurais eu un désavantage si je ne l’avais pas fait parce que presque tout le monde fait pareil. A 55 kg, lorsque tu affrontes une adversaire de 59 kg, tu es vite larguée. En kick-boxing, atteindre la limite de poids peut toutefois représenter un tour de force et une charge émotionnelle supplémentaire.
Je pratique ce sport avec passion. Je m’investis beaucoup pour gagner. Mais je ne me présente pas comme une athlète d’élite. Je suis simplement une sportive passionnée et ambitieuse dans un club de sport. Je n’ai pas de coaches personnels à ma disposition. Il n’y a pas de structures professionnelles dans le kick-boxing, parce qu’il n’y a pas d’argent. Mais la passion ne coûte rien.
L’illusion du bling-bling
Toutefois, tout organiser soi-même demande de l’énergie. J’envie parfois un peu les athlètes professionnelles. Mais je sais que mon quotidien est plus proche de la réalité de la plupart des athlètes de performance que de la vie bling-bling des rares vedettes du sport. S’imaginer que beaucoup vivent confortablement du sport est une illusion.
Et j’ai toujours été consciente qu’il n’y avait pas de starification dans ce sport. Même aux Championnats du monde. Ni l’argent ni la gloire ne peuvent être la motivation de l’effort quotidien. Quand je me lève à 5h00 pour me rendre à la salle avant le travail, je le fais par amour du sport et pour mon ambition de gagner. C’est quelque chose de pur, exempt de toute pression extérieure: Personne ne me donne d’obligation ni d’ordre, car personne ne me paie. Je peux arrêter à tout moment. Si je ne veux pas m’entraîner, je ne dois pas l’annoncer. Mais ce n’est jamais le cas. Et je me mets assez de pression moi-même, ce qui me bloque parfois. C’est pourquoi je travaille depuis un moment avec un coach mental. Que je dois aussi payer moi-même, naturellement.
Comme je ne gagne pratiquement rien avec le sport, je suis obligée de travailler à temps plein ou presque, ce qui me permet d’être moins prise à la gorge financièrement que beaucoup de jeunes athlètes qui vivent souvent avec le minimum vital en tant que professionnelles ou semi-professionnelles. Je peux m’investir un peu moins dans le sport et il me reste aussi moins de temps pour la récupération, une phase importante.
Traitement de faveur à la haute école spécialisée
Durant les phases d’entraînement les plus intensives de l’automne, avant les Championnats d’Europe ou du monde, je peux réduire temporairement mon taux d’occupation de 80 % à 60 % au sein de la société Sensopro de Münsingen, où je travaille dans le marketing. En tant que sportive, c’est une chance d’avoir un employeur qui est également actif dans le sport et qui se montre très compréhensif face aux conditions intensives requises par le sport. Tant que mon travail est fait, personne ne me demande quand et où je travaille précisément. Dans mon emploi précédent, je devais faire chaque jour le trajet de mon domicile à Berne jusqu’à Brigue, sans possibilité de télétravail. C’était devenu trop lourd pour moi. Dans les milieux extérieurs au sport, concilier travail et sport de performance reste un grand défi, comme je peux le voir chez mes collègues sportifs.
Quand on ajoute encore des études, comme dans mon cas, ça peut être très compliqué. Le vendredi et le samedi, j’étudie les arts visuels à l’école supérieure spécialisée de Berne, où les présences sont strictement obligatoires. Je n’y échappe pas. Mais je me suis battue pour obtenir certaines dérogations pour des absences. C’était un petit combat, mais je comprends que les mêmes règles doivent s’appliquer à tout le monde. D’autres étudiants ont peut-être aussi des hobbies prenants et ne peuvent pas faire valoir leurs souhaits particuliers.
Où se situe précisément la limite entre hobby et sport de performance? Je suis peut-être quelque part entre les deux. J’ai quand même trouvé trois ou quatre sponsors, car j’ai un avantage géographique en tant que Valaisanne de naissance. En Valais, tout le monde se connaît et il est plus facile d’y avoir un article dans le journal en cas de victoire sportive qu’ailleurs dans le pays. C’est un atout dans la recherche de sponsors. Pour moi, ce soutien est très précieux. Mais les montants feraient peut-être sourire d’autres. Le kick-boxing reste du kick-boxing.
Une chose pourrait tout changer: le rêve olympique. Pour Los Angeles 2028, le kick-boxing était sur la liste élargie des nouveaux sports olympiques potentiels. Mais il n’a finalement pas été retenu. La prochaine occasion sera pour 2032 à Brisbane, en Australie. Ce serait ma dernière chance. Je ne compte pas dessus. Si le kick-boxing devait effectivement figurer au programme olympique, je ferais tout ce que je peux pour y participer. Et faire de mon hobby mon métier provisoire.»
Propos recueillis par Pierre Hagmann, équipe Médias de Swiss Olympic
La meilleure kickboxeuse de Suisse
Sarina Fux est la kickboxeuse suisse la plus titrée. Elle a commencé le sport de combat à 17 ans et s’entraîne aujourd’hui au club Nippon Bern ainsi que parfois, au Starforce de Brigue. Elle est sextuple championne de Suisse. Au niveau international, elle a remporté quatre titres en Coupe d’Europe, cinq titres en Coupe du monde et la médaille de bronze aux Championnats d’Europe 2022 en Turquie. Le kick-boxing combine des éléments de la boxe traditionnelle avec des techniques de frappe de sport de combat tels que le karaté ou le taekwondo. Il existe plusieurs disciplines. Sarina Fux a choisi le light-contact qui se pratique sur des tapis, contrairement au full-contact qui se déroule sur un ring.
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